RENCONTRE
avec

GERARD COUSSEAU


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Le discours et le style n'ont pas été modifiés. Aussi, pour plus de compréhension, des indications sont données en italiques et entre parenthèses.

Entretien avec Gérard Cousseau (mineur de 1951 à 1959 aux Malécots).
Chalonnes-sur-Loire, le 13 Février 2001.

Gérard Cousseau : Oh, j'ai pas grand chose à dire, hein.

François Martin : Oh, je suis sûr que vous avez plein de choses à dire.

G.C. : Non non. Je vois pas.

F.M. : Alors déjà, combien de temps avez-vous travaillé à la mine ?

G.C. : Ben j'en suis sorti en 59, j'y suis rentré en 51. J'ai travaillé 8 ans. Quand je suis rentré à la mine, j'avais pas vraiment d'appréhensions parce que j'ai toujours été un p'tit peu casse-cou.

F.M. : Vous n'aviez pas peur de descendre ?

G.C. : Non, le premier jour qu'on m'a fait descendre là-dedans, on m'a collé tout seul dans un endroit à faire du remblayage. Ben oui, toutes les veines de charbon étaient comme ça (inclinées). Donc ça descendait dans les galeries en dessous. Pis ensuite c'était roulé par des wagons. Mais j'ai travaillé aussi à faire des recherches, des travers-bancs comme on disait. Donc tout le remblai n'était pas remonté au jour par les travers-bancs, il servait à remblayer, à remplacer le charbon qu'on avait enlevé quoi. Alors y'avait des fois ça descendait pas tout seul. Fallait tout faire glisser avec les pelles. Alors on m'avait collé tout seul là-dedans avec une lampe. Une lampe phare, à l'époque. Et comme c'est des vieux chantiers ben, le bois ça tient pas toujours, hein. Alors ben ça pète. Tout le temps ça craque. Pour ceux qui connaissent pas, ça fait bizarre, hein. Pis au fond, ça fait caisse de résonnance. Quand ça pète, ça fait comme un coup de fusil, quoi. Alors la première fois qu'on entend ça, on prend sa lampe et pis on regarde. Ah ! On dit : ça vient d'où ce bruit là ? On trouve pas. Alors au bout de deux ou trois coups, on fait plus attention. Ah Ah ! Pis c'est tout ! Donc la première semaine, je l'ai passée comme ça. C'est un peu une mise à l'épreuve à mon avis. Et pis après, bon, on m'a envoyé avec un mineur confirmé. Mais là, j'ai dû faire des travers-bancs pendant un certain temps. J'ai pas été tout de suite dans le charbon… Alors on faisait des trous, des mines d'1m50. Pour une bordée, on faisait 4, 7, 11, 14, 18, au moins une vingtaine de trous. Parce qu'on tire d'abord un bouchon. Pis après on fait tomber tout le reste. Ils ont dû vous dire ça Jojo et Bourricot ( Landebrit et Bourigault ).

F.M. : Oui, oui.

G.C. : Avant de miner, on fait un trou en profondeur vraiment, un trou de 3 m. Parce qu'il y avait un risque aux Malécots, c'est que dans le temps - ça doit dater d'avant la guerre de 14 - y'avait des mines de charbon là. C'est le puits qu'est au bord de la route, qui descend beaucoup plus profond. Et d'après ce que nous disait l'ingénieur en question à ce moment là, Fourmeau, il disait : on n'a jamais eu les plans de cette mine. Donc on peut tomber dans des galeries qui sont inondées. Et ce travers-banc qu'on était en train de faire, on est tombé dedans… Bam ! La flotte est arrivée par le trou. Alors c'est des trous qui sont gros comme ça quoi ( Ø 3cm ). Ben ça c'est arrêté là le travers-banc.

F.M. : Vous n'êtes jamais revenu dans d'anciennes galeries ?

G.C. : Dans une ancienne galerie ? Non. Ben ç'aurait été la catastrophe. Parce que de 45 m de profondeur jusqu'au fond, tout ça c'est plein d'eau. Parce que avant 45 m, l'eau s'évacue toute seule. Parce que vous avez une galerie - ils ont dû vous en parler de la galerie des Vouzeaux - c'était une galerie toute briquetée hein.

F.M. : Elle était haute comment cette galerie ?

G.C. : Ben y'a des endroits qu'elle était haute comme ça, hein ( 1 m de haut ). On passait là-dedans, ben oui parce qu'au départ y'avait qu'un puits. Y'avait pas de deuxième puits. Y'avait un puits d'extraction mais pas d'échelles. Après, ils ont refait un puits à côté, jumelé, où là y'avait un train d'échelles pour remonter au jour. Mais quand y'avait une panne de courant ou qu'y'avait une panne de treuil, on remontait jusqu'à 45 par des galeries pis là on prenait la galerie des Vouzeaux pour ressortir dans la bas des coteaux d'Ardenay. Pis on remontait le coteau après. Alors j'aime mieux vous dire que l'après-midi, on dormait bien !

F.M. : Vous étiez obligé de passer…

G.C. : De passer par la galerie des Vouzeaux, qu'est fermée par une grille à la sortie. J'ai vu passer des endroits où fallait vraiment… s'aplatir, avec le derrière qui trempait dans l'eau, hein. Ah oui !

F.M. : Vous m'avez parlé du puits. Alors comment était organisé le puits d'extraction ?

G.C. : Alors le puits, c'est deux puits côte à côte qui sont boisés en bois de chêne. C'est du bois carré de chêne qui fait 20x20.

F.M. : Vous pouvez me faire un p'tit croquis, là ?

G.C. : Oh ben oui…

F.M. : J'ai un plan qui devrait vous intéresser. (Je montre le plan du fond des Malécots).

G.C. : Oh ben oui ! Y'a le puits d'extraction là, le plan incliné pis la descenderie. Y'avait pas besoin de boisage ici. Et pis là, Bourricot a dû vous en parler. Au niveau 137, y'a eu des éboulements à tout casser, jusqu'à l'entrée de la double voie. Ils nous descendaient des chargements de fagots de bois. Faut voir, on en a mis j'sais pas combien. Parce que c'est une vraie chapelle là. Donc on a tout refait le boisage et par-dessus fallait garnir, faire un matelas pour que, au cas où ça se décroche là-haut, ça serve d'amortisseur. C'était ça le système. Ah bah, dans le temps, les vignes, de chaque côté, c'était pratiquement au niveau de la route là. Faut pas se faire d'illusions, ça se tasse, ça s'est tassé et ça se tassera encore. Y'a que les deux puits qui ont été remblayés.

F.M. : Vous parlez de quelles vignes là ?

G.C. : Les vignes qui sont à s'en aller vers la Haie-Longue là. Y'a eu du tassement là. […]. (Il rejette un coup d'œil sur le plan). Ah bah, et pis y'a le deuxième puits là. Pffff ! J'en ai chié là dedans ! je l'ai fait avec Bourdin, un gars de St Lambert du Lattay.

F.M. : Alors, comment vous faisiez pour creuser un puits ?

G.C. : Ah ah ! Eh ben pour creuser, c'est le même principe que pour faire une galerie hein. (Il m'explique les tirs de mines : bouchon x4, couronne x8 et abattage, cf. Mr Landebrit). On fait un bouchon, et pis après on fait le même système. Mais on perfore un peu incliné vers le centre. Et après faut enlever tout ça. C'est là qu'est le coton, parce que ça c'est rien du tout à forer : brrrr ! Ça descend tout seul. Mais quand vous avez une galerie qui fait cette hauteur là, bon ben faut le tenir le piqueur. Après ça on a eu les poussoirs. C'était… Bon ben au départ on minait à sec. Ils ont dû vous en parler. C'est d'ailleurs pour ça que beaucoup ont eu la silicose. Fallait se protéger avec un masque, le bordel quoi.

F.M. : Et vous, vous avez la silicose ?

G.C. : Non, j'ai pas été silicosé. J'ai très vite miné à l'eau. Alors, miner à l'eau c'est complètement différent. Parce qu'un burin pour forer, c'est ni plus ni moins mon crayon là, sans la mine à l'intérieur. Au bout, vous avez un taillan. C'est un morceau comme avec des dents si on veut. Touc touc touc, et ça tourne en même temps. Ça tape et ça tourne. Mais quand on minait à sec, c'était l'air comprimé qui passait par le centre du burin et qui ressortait. Donc on en prenait plein la gueule. Alors qu'après y'avait un autre système. On mettait un manchon sur le pied du burin et ce manchon envoyait de l'eau. Ce qui fait qu'il ressortait de la boue. Y'avait plus de poussière. Fallait avoir un ciré, bon d'accord, mais c'était nettement plus sain. Alors heu, oui, y'avait après les poussoirs, une espèce de canne à air comprimé. Un vérin à air comprimé si on veut aller par là. Il se mettait comme ça, y'avait une poignée et on le réglait. Fallait pas le régler trop vite parce que sinon la boue n'arrivait pas à ressortir, ça calait. On pouvait plus ressortir le burin, hein. Alors là, on se faisait tirer les oreilles. Parce que si le burin, il était bloqué et ben fallait refaire un trou à côté. Et quand il sortait, en général le burin il était mort.
Eh ben l'histoire du puits c'est le même principe si vous voulez par là. Mais pour celui là, d'aération, tout était boisé en bois ronds. Alors que le puits d'extraction, c'était ça (il dessine). C'était étanche, parce qu'il était fait de planches de chêne. C'était étanche, sauf à l'eau hein ! Et là-dessus, y'avait un guide en bois (10x20). Quand la cage descendait, elle glissait dessus. Bon, mais y'avait un autre système. Si le câble se cassait, à ce moment là les trucs se déclenchaient, ça faisait 4 ou 5 secousses et la cage s'arrêtait. Mais elle avait descendu de 10 mètres.

F.M. : C'est déjà arrivé ?

G.C. : Moi, ça m'est arrivé une fois. Ben ça vous remonte les tripes sous le menton, hein. C'était la patte du câble qui avait coupé. Pourtant elle était surveillée parce que y'a un règlement hein. Elle était surveillée tous les j'sais pas combien. Y'avait des gens du service des mines qui venaient de Trélazé et qui surveillaient le câble et tout ça. Mais bon, ça arrive comme ça du jour au lendemain, on sait pas pourquoi.

F.M. : Et y'avait un train d'échelles à côté ?

G.C. : Ah, dans le deuxième puits. A côté de ce puits là, collé l'un à l'autre, y'avait un deuxième puits dans lequel vous aviez des échelles. Mais c'était différent du puits d'aération. Alors quand on avait fini sa journée, on remontait jusqu'à la double voie au pied du puits et pis on attendait son tour pour remonter au jour. On nous voyait que le blanc des yeux et pis les dents et pis c'est tout parce qu'on était noir des pieds jusqu'à la tête. Et y'avait des fois que la lampe elle ne marchait plus d'ailleurs. Ça arrivait qu'on était sans éclairage et tout le monde avait sa raccourche.

F.M. : Les fameuses raccourches !

G.C. : La raccourche de 30 cm. C'est un droit, mais c'est un droit national hein ! C'est pas uniquement aux Malécots. C'est comme ça aussi dans le Nord. Mais faut le sortir du fond. Il est pas question de le prendre au jour. On pourrait dire : Oh ! ben y'a des chutes, on va se couper un morceau de bois. Non. Pis c'est pas du vieux bois. Parce que les longueurs de bois sont par 50 cm. Vous aviez des bois de 2m, 2m50, 3m, 3m50 jusqu'à 5m (pour le boisage anglé).

F.M. : Vous aviez droit à du charbon aussi ?

G.C. : 250 kg de charbon par mois. On savait pas quoi en faire ! C'est trop. Mais bon ben, j'en revendais du charbon. Tous les mineurs en revendaient.

F.M. : Et l'éclairage, vous aviez des lampes frontales, non ?

G.C. : Ah ! Vous n'en n'avez pas vu des lampes de mineur ? Ils vous en n'ont pas montrés les gars ? (Il va chercher sa lampe des Malécots)

Mme Cousseau : Il l'a achetée sa lampe de mineur. Il aurait bien dû la piquer parce que ça a été piqué certainement.

F.M. : Ah, dites donc ! C'est votre lampe des Malécots ça ?

G.C. : Ah oui, c'est la mienne. Elle est à mon numéro, en bas.

F.M. : 27.

G.C. : Ouais, c'est le témoin ça. Alors l'allumage de la lampe, c'est ça (il tourne la partie supérieure). Alors là-dedans, y'avait une pile. Une grosse pile carrée qu'était rechargée tous les jours.

Mme C. : Les lampes à chapeau, c'étaient les contremaîtres.

G.C. : Ah oui. Moi j'ai quand même terminé par les lampes à chapeau. Dans les chantiers où c'était dangereux. Chaque mineur avait sa lampe mais dans les tailles de charbon et dans les travers-bancs, on avait des lampes à air comprimé.

F.M. : Des lampes baladeuses ?

G.C. : Ben non, y'avait pas de fils électriques, attention. L'électricité était au niveau du pied du puits. Y'avait un treuil électrique qui servait pour remonter les wagonnets du plan incliné. Mais tout était à air comprimé. Alors les lampes, on branchait le tuyau d'air dessus, y'avait une turbine pis ça faisait du courant. Les puisards, énormes, ben ils étaient pompés avec l'air comprimé. Des pompes à pistons et allez donc ! Y'avait des pompes ! Y'en avait une avec 4 pistons gros comme ça (Ø20cm). Y'avait un puisard à 137, pis… oh, je sais plus.

F.M. : L'eau était renvoyée aux Vouzeaux ?

G.C. : Alors y'avait deux systèmes. Soit qu'ils envoyaient l'eau au jour, quand y'avait besoin d'eau au jour parce qu'on se douchait avec l'eau qui venait du fond. Y'avait des réservoirs au jour et pis l'eau, attention, ils la faisaient chauffer, hein. Ben y'avait du bois et du charbon alors… Quand y'avait besoin d'eau pour les douches, pour tous ces trucs là, hop, y'en avait un qui descendait à 45, poum poum, et je te ferme les vannes et pis on fait le plein là-haut. Ah oui, c'était ça.

F.M. : Pis y'avait un puisard sous la cage.

G.C. : Ah ben oui. Toujours oui.

F.M. : Alors expliquez moi un peu la disposition sur le carreau (on regarde un plan qu'il a dessiné).

G.C. : Ça, c'est le puits d'extraction avec le chevalement.

F.M. : Y'avait un seul câble, pas de contrepoids ?

G.C. : Un seul câble oui, toujours. C'était un treuil électrique. Le treuilliste c'était le type qui tenait le café de la Haie-Longue, dans le temps. Jouet. C'était un très bon treuilliste, hein. Il avait ses marques sur le câble. Il savait à quel niveau il était et tout. C'est comme le gars qu'était en tête du plan là, et qui tirait pour monter les wagons. Parce que fallait être habitué, hein ! C'était un vieux gars qu'était treuilliste là. Ah bas ! Il était super. C'était un bon poivrot mais… comme beaucoup de gens qui travaillaient à la mine d'ailleurs.

F.M. : Pas tous quand même, si ?

G.C. : Pas tous mais beaucoup, faut reconnaître.

F.M. : Ils descendaient comme ça des fois ?

G.C. : Ah non. Ah ben non ! C'était après le boulot. Y'en avait qu'avaient déjà bu deux chopines avant de descendre le matin parce que le café de chez jouet était ouvert. Et quand ils rentraient, ben bon Dieu ! Le premier bistrot en sortant ils s'arrêtaient pis si y'en avait un deuxième sur la route ben ils s'arrêtaient encore. Pis quand on rentrait à la maison, on n'était pas clair ! Et pis on bouffait la paye. Bah ! Les commerçants du coin, les jours de paye, ben ils venaient les attendre à la sortie de la mine pour toucher leur fric. Parce qu'on était payé en liquide à l'époque. J'en ai vu bien des fois des commerçants, se ramener au bout du chemin, hein. Moi j'ai eu des altercations avec des gars parce que, heu, moi je suis pas un homme de bistrot. J'ai horreur de ça. J'y mets jamais les pieds, j'ai horreur des bistrots. Voir les mecs qui sont en train de siroter… et pis ça pue là-dedans.

F.M. : C'est marrant parce que les trois derniers mineurs n'ont jamais fait d'abus. Ça peut pas être une coïncidence.

G.C. : Ah oui, Bourigault non plus. C'est vrai, c'est vrai. Moi j'ai été à son mariage à Jojo, à Landebrit. Eh oui.

F.M. : Il s'est marié étant mineur, aussi.

G.C. : Ah oui, comme moi. Ma femme, elle aurait pu aller en prison : " débauche de mineur "… Enfin, c'était ça. Faut dire, y'avait beaucoup d'étrangers, hein. Polonais, Tchèques… Y'avait un peu de tout, hein. C'était des bon gars mais, comme on disait, fallait pas les chatouiller quoi. Y'avait Orcel, y'avait Spinard, euh… Je travaillais souvent pendant les vacances, j'aimais bien travailler pendant les vacances parce qu'on travaillait pas aux pièces, on n'était pas trop. Alors on avait un gars qui nous commandait mais qui n'y connaissait rien. C'était Vautier, le bureaucrate qu'on disait. Il travaillait au bureau. Alors un jour il cherchait des noises à Orcel. Nom de diou, Nom de diou! Bah il descendait plus au fond, hein ! Orcel il courait après lui avec une pelle, dans les galeries. S'il l'avait rattrapé, ça aurait fait mal hein !

F.M. : D'accord ! Alors ce carreau…

G.C. : Oui alors là, c'était le bureau. C'est ce qu'on voit encore maintenant. Après ça y'avait les douches et les vestiaires des ouvriers. Après y'avait le magasin et la lampisterie. Où y'avait le guichet, là, on se mettait là avant de descendre au fond et en remontant du fond. Après y'avait les douches et les vestiaires des porions, des ingénieurs et compagnie. On mélangeait pas. Après ça, ici y'avait le puits d'aération qu'on avait foré. Là y'avait la forge et l'atelier, et pis là le transfo (que l'on voit encore). Et pis là, y'avait la baraque du treuilliste. C'était un grand truc, hein. Le rond, là, c'est une plaque tournante. Parce que le terril, il est là, derrière. Donc tout ce qui sortait du fond, les déchets, hop hop.

F.M. : c'était surélevé ça ?

G.C. : C'était surélevé. Parce que le puits était surélevé. La tête du puits, elle était à 3m au dessus du carreau quoi. Nous on s'arrêtait en tête du puits, en haut. Fallait prendre un escalier à chaque coup, hein. Et là, ils sortaient le charbon par là, au stockage du charbon. En bordure du chemin qui existe. Parce que les camions de Bessonneau, après, s'en allaient à Montjean. Ils faisaient deux tours par jour. C'étaient des camions qui faisaient, heu, une dizaine de tonnes quoi. Ah bah, tous les jours ils passaient à Rochefort, on les voyait passer tous les jours. Et c 'était eux qui nous livraient le charbon sur Rochefort. C'était ces camions là. (Il revient au plan) Alors à la sortie, là, y'avait des trieurs qui triaient le charbon. Ils étaient deux. Dont un qu'était pas aveugle, mais presque. C'étaient des cocos ces deux-là ! Fallait voir. Fallait voir les moineaux que c'était. Le lampiste, c'était le père Boidron. Le grand-père à la fille Boidron qu'on voit au cinéma, à la télé, avec… oh merde. Un policier là, le gros là, le beau-frère à Mitterrand.

F.M. : Ah ! Navarro.

G.C. : Voilà.

F.M. : Sa fille… C'est pas Yolande ?

G.C. : Voilà, Yollande Boidron, c'est la petite fille au père Boidron de Chaudefonds. J'ai appris ça par sa tante qu'habite juste à côté. Sa mère, elle vient de St Laurent de la Plaine. Lui, tous les jours, il faisait office de forgeron et il rechargeait les lampes. Dans la journée, quand on était au fond, il avait rien à faire pratiquement. Il s'occupait de la forge, de l'atelier, tout ces trucs là. Parce que tous les jours, y'avait des pointerolles à affûter pour les marteaux piqueurs. Y'avait des taillons à refaire, y'avait des manches à remettre pour les haches. Je vais vous en chercher une… (Il s'en va chercher sa hache)

F.M. : Ah d'accord ! Elle servait à quoi cette hache ?

G.C. : Bah au fond, pour entailler les bois. On faisait un bel-âne, on faisait des encoches avec ça. On faisait du boisage carré comme ça, mais dans les tailles de charbon, on boisait en chandelle. Avec des gueules de loup qu'on appelait ça. On utilisait des bois de 4m dans les tailles de charbon. Alors on enlevait le charbon, on faisait une potelle (trou latéral dans la paroi), on engage un bois là-dedans. Et quand on est dans une taille, on enlève d'abord la couronne au marteau piqueur. C'était des marteaux piqueurs à une main hein, attention. Alors par-dessus ce bois, après, on faisait glisser des poteaux sur le côté. Mais 4m de long, faut en mettre un autre au milieu parce que autrement, tac ! Alors on a le même principe en bas, on a une semelle (en haut, ça s'appelle le chapeau). Parce que toutes les veines étaient comme ça (inclinées). Il faut, au sol si on veut aller par là, faire un quadrillage. Avec la pente, comment voulez-vous que ça tienne sinon ? Et sur ces semelles-là, on met la chandelle avec la gueule de loup (encoche), pour que ça s'emboîte.

F.M. : Et vous ne mettiez rien entre deux boisages ?

G.C. : Alors on mettait des poussards. Alors si on veut aller par là, les semelles c'est les montants d'échelle et les poussards, c'est les barreaux. En comparaison. Mais ça c'est pour les tailles de charbon. Tandis que dans le Nord, tout est à plat, ils ont d'autres procédés. Ils travaillent avec des haveuses d'abord. C'est plus du travail à la main. Y'a longtemps que c'est comme ça.

F.M. : A l'époque des Malécots, c'était déjà comme ça ?

G.C. : Ah oui. Certainement, oui. La chaîne à godets qui gratte le charbon et allez donc ! Ça tombe sur le tapis et ça s'en va… Chez nous, c'était archaïque. C'était…. On travaillait avec la méthode de la guerre de 14 !

F.M. : Alors je vais changer de sujet. Je vais revenir sur vos conditions de travail. Est-ce que vous vous plaigniez de vos conditions de travail à l'époque ?

G.C. : Non.

F.M. : Votre salaire ?

G.C. : C'était un petit salaire. A l'époque on s'en contentait, heu. Moi, j'aimais ça. Je peux dire que j'aimais ça. P't'être aussi à cause du goût du risque, hein. Bon.

F.M. : Quel métier avez-vous fait après ?

G.C. : J'ai quitté la mine pis je suis rentré dans la chaussure. C'était complètement différent, chez ERAM. Et pis après, on est venu habiter Chalonnes.

F.M. : D'accord. Et les accidents, avez-vous souvenir d'un accident à l'époque ?

G.C. : Bah euh, pas de coup de grisou. Ils ont dû vous en parler, y'en a un qui s'est fait décapiter. Des éboulements, ça y'en a eu. Je me suis fait enfermer une fois avec Ardoue. Y'a eu une coulée de charbon, une coulée de poussier. Bon, c'était pas grave. Le rouleur était parti, il revenait plus. Alors on a commencé à entendre taper sur les tuyaux, y'avait un problème quoi. On est descendu. Ah ! La galerie elle est bouchée. Hé hé ! Oh bah c'est pas grave, ils sont de l'autre côté pis nous aussi. C'était que du poussier de charbon, c'était pas important. Non, moi j'ai eu un accident tout seul dans une taille de recherche. Euh, c'est le tuyau d'air comprimé qu'a été coupé par une couille de pape. Vous savez ce que c'est une couille de pape ?

F.M. : Non ?

G.C. : Alors une couille de pape, c'est un bloc de pierre, un bloc de silex qui se trouve dans le charbon. Et ce bloc de silex il a la forme d'un œuf. C'est tout noir et si vous arrivez juste en dessous, bah ça dégringole hein. Un éboulement, ça prévient, sauf une couille. Une couille, ça c'est le plus maudit. Mais un éboulement vous êtes tout le temps prévenu. Ça grémille un p'tit peu. Ah ! Y'a un problème. Y'a quelque chose qui se produit. Allez amène des chandelles, amène ceci, amène cela. Tac, on renforce. Tandis qu'une couille, elle claque. Moi elle m'avait prévenu. Elle m'avait prévenu parce que j'avais un garnissage juste en dessous, mais qu'était vraiment léger. Et c'était dans la descente du plan, y'avait un départ de veine de charbon. Alors pour ça on fait pas une galerie, hein. Faut voir comment qu'c'est d'abord. On enlève que le charbon qu'on peut. Pis on enlève de façon à pouvoir passer, pas plus. Moi je travaillais là-dedans, c'était pas plus haut que ça. Alors à plat ventre, sur le dos ou sur le côté, je pique, je gratte et pis tout d'un coup j'ai senti quelque chose qui m'est tombé dessus. J'étais torse nu là-dedans. Et là j'avais une lampe à chapeau, heureusement pour moi d'ailleurs. Et, dressant la tête, j'ai vu , j'ai vu le garnissage qui, - parce que j'avais pas de boisage, on garnissait seulement avec des déchets de scieries, les croûtes de bois qui sont enlevées - je l'ai vue au dessus de moi mais j'ai pas eu le temps de me tirer complètement. Ça m'avait descendu sur le dos. J'ai réussi à me glisser parce que c'était quand même en pente. Et ça a coupé le tuyau d'air du marteau-piqueur. Automatiquement ça fait une perte de pression hein, un tuyau qui crache à zéro. Alors à chaque plan y'avait des manos sur les conduites. Ils ont vu qu'y'avait un truc alors, hop, pour voir d'où ça vient, au bruit. Ah, ça vient du plan. Alors je me rappelle, y'avait Berland qu'était là. Berland il s'est ramené, il m'a dit : qu'est ce qui t'arrive ? Mal dans le dos, ahh ! Eh ben, tac, dans l'ambulance. Alors l'ambulance, c'est quoi ? C'est quoi ? C'est un wagon. Direction le jour. Y'avait pas 36 solutions, hein. Pis on vous ramène à la maison. Et pis une autre fois, dans le dernier plan, pas le dernier mais l'avant-dernier, je travaillais avec Théodore Oger. Et là c'était un peu une vacherie, il est mort - paix à son âme. Celui qui nous avait fait le coup, ce jour là, c'était Théodore. Ce type c'était une force de la nature, ah oui. Je l'ai vu, on avait différentes pelles, on avait des petites et des grosses pelles. Des pelles bedot qu'on appellait. Eh ben je l'ai vu charger du remblai avec ça, hein. Il était fort comme un cheval ! Eh, bon alors, dans ce plan on déblayait. Et quand on descendait le matin, avec un pic fallait rabattre le remblai pour faire descendre un wagon. On mettait un bois en travers pour le bloquer et on chargeait. C'était chargé, on tirait la sonnette pis il montait. Bon. Le long du plan, on faisait des niches : on creusait pour laisser les outils, pour pas remonter les outils à chaque coup. Bon. Et quand on avait fini de charger et de miner, ben le chef porion descendait, il amenait les cartouches. Il bourrait les trous mais on tirait qu'au moment de la débauche. Ils tiraient au chat. Le chat, c'est un truc électrique, on tourne le bidule et clac, ça se déclenche. Ça faisait partir les mines. Mais quand on finissait de miner, avant la fin de la pause, on allait faire du bricolage ailleurs dans une galerie. On plaçait un cadre (boisage dans les travers-bancs) où y'en avait un de défectueux. On allait faire ça. Et le gars qu'était au plan incliné, au moment de la débauche, après le tir, il ouvrait une vanne pour envoyer l'air comprimé en bas. Parce qu'on laissait toujours un tuyau à descendre, pour chasser tous les gaz du tir. Et ce jour-là, il a pas ouvert la vanne quoi. Le lendemain matin, bon ben moi je me suis trouvé à descendre le premier. Alors j'ai attrapé un pic et pis j'ai commencé à gratter. Pendant ce temps là, Théodore Oger il avait descendu les pointerolles, il avait descendu des taillons, il préparait le matériel. Moi je grattais, je grattais… de moins en moins vite. Mais mourir asphyxié, c'est une belle mort hein. On s'en va tout doucement, on est bien. On s'endort. Au bout d'un moment, poum, il a vu le bonhomme qu'était tombé sur les genoux et pis qui grattait plus. Hop, il est descendu, il m'a attrapé sous les bras et il m'a remonté jusque dans la niche. Et pis là il a pris un wagon. Alors là, j'ai commencé à récupérer. Pis direction le jour. Alors c'est au jour que j'ai été malade. Ah bah dites donc ! Vomir tout ce que j'avais dans le buffet, et pis par en bas aussi, hein ! J'étais étalé sur le ciment dans les douches et pis j'allais pas plus loin, hein. Ils m'ont lavé, pis après ça Fourmeau m'a ramené chez moi. Ah ! Deuxième service, ouais. Mais euh, Bourricot, il a eu pas mal d'accidents et pourtant c'était un très bon ouvrier hein. Comme quoi, ça veut rien dire. Y'a la chance qui joue aussi, hein.

F.M. : Et il y avait différentes catégories entre les ouvriers ?

G.C. : Ah oui. Y'avait le manœuvre, le manœuvre était en première catégorie. Et pis alors selon les travaux qu'on faisait, on partait en première catégorie, on travaillait avec un mineur, on apprenait vraiment le boulot. Pis après on nous confiait un chantier, un chantier de charbon ou de travers-bancs. On montait en catégorie. Moi j'étais en cinquième catégorie pour finir. Alors en général on prenait des gens comme ça pour faire la visite, hein.

F.M. : Et pour devenir porion ?

G.C. : Ah bah, pour devenir porion, y'avait quand même un examen supplémentaire. Là fallait passer un genre d'examen parce que nous on n'avait pas le droit de manier la poudre. Mais bon…. ! C'était du bidon tout ça. Euh, moi j'ai vu bien des fois, bon ben il n'avait pas le temps. Pis des fois il nous faisait chier : Ah ! j'ai pas le temps d'aller bourrer ! Allez crac, on va là-haut au magasin chercher ce qu'il fallait et pis on bourrait nous même. On faisait les bourres avec de la terre. Des boudins gros comme ça. On mettait la première cartouche avec le fil. Sur un tir ça pétait en plusieurs fois. On utilisait des détonateurs à retardement. Le détonateur, c'est un petit truc qu'est gros comme ça avec les deux fils électriques qui arrivent dedans. C'est du fulminate de mercure qu'y a là-dedans, hein. Alors une cartouche de fédite c'est gros comme, un peu plus gros qu'une cartouche de fusil. Dans le premier trou on mettait le détonateur, envoyé au fond du trou avec un bourroir. Un bourroir c'est ni plus ni moins un manche à balai quoi. La première cartouche qu'on met, faut pas l'envoyer au fond et pis foutre un grand coup dessus, surtout pas ! Après, ça dépendait du schiste qu'on avait. Si c'était assez tendre, on chargeait moins lourd. A des endroits, c'était comme du silex, si on veut aller par là. Alors là fallait bourrer. Et pis après, tous les détonateurs - qu'étaient de couleurs différentes - étaient raccordés sur le même fil. Et pis on s'en allait dans une galerie un peu plus loin. Pis on tirait. Moi j'ai jamais tiré, c'était toujours Berland. Alors on avançait comme ça d'1m50 à chaque coup, à peu près. Et quand on a fait le puits avec Bourdin, là, bah on a toujours tiré nous-même, hein. Bourrer et tout. Logiquement, fallait descendre les détonateurs dans une musette et à pieds. Fallait pas les descendre dans le bassicot. Parce que là, quand on fore le puits, c'est un bassicot. C'est un grand bidon en ferraille. Alors fallait les descendre à l'échelle. Mais bon, ça arrivait bien souvent qu'ils descendaient dans le bassicot. Alors un truc aussi, que j'ai pas précisé, c'est que la poudrière n'était pas sur le carreau de la mine. Le dépôt de poudre était juste à côté du vieux puits. Fallait que ça soit à tant de distance du carreau. Ben maintenant y'aurait des problèmes, y'aurait de la fauche, hein.

F.M. : L'ancien puits, vous y êtes allé ?

G.C. : Ah ben non, moi je ne m'y risquerais pas, hein. Y'a certains puits, d'anciens puits, on trouverait un peu de tout… oui.

F.M. : Vous pensez à la même chose que moi ?

G.C. : On trouverait des bonshommes, ouais. Je sais que dans le puits de La Prée, celui qu'est le plus près du château (puits n°3, au ras du sol), euh je sais qu'y a des bonshommes dedans.

F.M. : Vous pouvez m'en dire un petit peu plus ?

G.C. : Ça date de la guerre.

F.M. : Des Allemands ?

G.C. : Oui, y'en a dedans. Mon père, il faisait parti de certaines organisations et moi j'ai toujours entendu dire qu'y en a qui sont restés dans le fond, hein.

F.M. : D'accord. Eh bien merci beaucoup Mr Cousseau.